L’idée d’hériter de mes parents m’effraie. Me retrouver du jour au lendemain à la tête d’objets que leurs légitimes propriétaires ne me destinaient pas – y compris des souvenirs plus ou moins compromettants – m’effare. Ce qui m’épouvante encore plus, c’est la masse énorme de choses accumulées à la campagne comme à la ville par les miens.
Objets hérités = cadeaux empoisonnés ?
Moi qui aime tant le vide que j’ai ménagé chez moi, je crains une invasion. Je vois bien chez les autres l’effet des héritages. D’un coup, les intérieurs se remplissent de meubles plus ou moins appréciés. Dans le meilleur des cas, il s’agit d’objets que l’on a secrètement convoités autrefois. Mais il y a aussi des héritages empoisonnés provenant d’une grand-tante détestée que l’on vous « offre » sans vous demander votre avis, en envoyant chez vous des déménageurs sans même vous avoir prévenu-e. Alors, on fait tant bien que mal de la place aux intrus. On n’ose pas jeter ou vendre ce qui faisait partie d’un tout. On s’imagine devoir rester fidèle aux meubles, comme pour prouver sa loyauté aux disparus.
Quand les murs ne suffisent plus à caser les fraîchement débarqués, d’un coup l’espace paraît plus exigu. Non seulement on voit rappliquer les commodes et les vaisseliers, mais aussi leur contenu de vaisselle, d’albums photos ou de paperasse. Comme il faut bien loger toutes ces choses, au moins le temps du tri, on les laisse entrer chez soi avec leurs contenants.
Invasion d’objets non désirés
Le style des nouveaux venus jure parfois avec celui de leurs voisins. On voit soudain cohabiter du Louis XV avec du mobilier contemporain. La cacophonie menace. Je ne me vois pas héberger une crédence XVIIème ni une armoire lorraine, aussi précieuses soient-elles, sans parler des chinoiseries omniprésentes chez les miens.
J’ai vu des intérieurs où tous les bibelots qui prolifèrent viennent de la mère défunte. J’ai vu chez une dame la pendule de son père arrêtée précisément à l’heure du décès de ce dernier. Plus on est sentimental avec les choses, plus on est susceptible d’être submergé. Dès qu’on se dit « ça servira peut-être plus tard », on est piégé aussi. Meubles, bibelots, vaisselles, papiers, tout peut contribuer à l’invasion.
Tri délicat…
J’admets que mes parents ont du goût – ou plutôt, disons que je partage en partie les leurs – ce qui ne peut que compliquer la donne. Je ne pourrai pas éliminer de gaieté de cœur un certain nombre d’objets. Certes, les instruments agraires qui ornent la maison de campagne ne sauraient trouver leur place chez moi, même s’il s’agit de souvenirs des aïeux. Les antiquités asiatiques non plus, du moins pour la plupart. Restent telle armoire marquetée, tels fauteuils Voltaire, tel meuble de Starck, tel vase aimé. Et puis les petits secrétaires du bord de Loire, dont objectivement je n’aurai aucun besoin, mais dont la silhouette légère me ravit. Autant de dilemmes en perspective…